Août


Mercredi 3 août
A noter, dans un des groupes en formation financée par la région, un personnage au profil intrigant. D’origine maghrébine, d’une politesse prononcée, d’une gentillesse prévenante à l’égard des formateurs, il reste toujours à l'écart du groupe. Dès qu’un instant s’offre à lui (pause, devoir achevé…) il se plonge dans un bouquin. Celui en cours pourrait révéler ce qui couve en lui : La fin des temps chez les prophètes (titre de mémoire). Je songe à ces jeunes gens installés, brillants, bien éduqués, sans histoire, ayant construit une famille, mais qui n’ont pas reculé face au projet de terrorisme kamikaze. Anéantir autrui et soi-même pour ses idées… Qualité de la détermination, mais atroce nihilisme paré d’une pseudo renaissance.
Reçu lundi soir le parrain de BB et son épouse, qui nous avaient prêté le très utile échafaudage lors de la réfection de notre appartement. Couple agréable et en phase totale avec nous sur le gâchis du rejet du traité constitutionnel pour l’Europe.
Enfin, Coldplay passe en concert en France : quatre date dont une à Lyon. Je n’ai beau pas avoir le tempérament du fan, j’attendais cette nouvelle avec impatience, au point d’aller me connecter sur leur site. Leur atmosphère musicale m’a conquis en trois albums portant leur style et laissant une large part à l’évolution créative. La patte du groupe et l’inspiration sans retenue : l’équilibre dans la démarche du groupe leur assure une pérennité de carrière à l’échelle mondiale. Bravo à la fibre musicale anglo-saxonne, encore une fois.
Les politiques prennent leurs quelques jours de congés et les membres du gouvernement clament aux médias ne surtout pas se couper des actions en cours. Deux mois après le tonnerre référendaire, la rébellion électorale s’assimile à une erreur grave d’objectif. La rentrée européenne risque de tenir de l’équilibrisme handicapé par les humeurs françaises et néerlandaises. Du repliement à l’effondrement, le risque n’est plus inconcevable.

Vendredi 5 août, 23h35
Ma BB en vacances jusqu’au 30, moi au labeur renforcé jusqu’au 24. La stabilité professionnelle est à ce prix.
Le Portugal subit, cette année encore, de gigantesques incendies combattus par les dérisoires moyens en sa possession.

Samedi 13 août
Week-end prolongé à Arles. Hier soir, découverte du logis de Louise et Richard : une ou deux pièces par étage, et le quatrième constitué d’une petite terrasse bordant le toit. Comme souvent, animation des débats en fin de soirée : de l’art moderne au dopage sportif, de quoi bretter avec l’intellect en passion.
Nous logeons chez Romy, au-dessus de la vieille acariâtre qui tient le magasin La Vie claire au rez-de-chaussée et passe ses nerfs au-dessus. Pour nous manifester la non bienvenue, la laide foldingue, à partir de sept heures du matin environ, fait claquer les portes de son appartement réparti sur plusieurs niveaux (une spécialité arlésienne !) et auquel on accède par l’escalier de service. Sans doute insatisfaite du chambard, elle le complète lors d’un déplacement par le tintement d’un couvert de la vaisselle, tapant vigoureusement ses pieds sur les marches. Une emmerdeuse invétérée en somme ! Ses humeurs maussades, c’est bien tout ce qui doit péniblement remplir sa pitoyable existence… Triste bonne femme qui cultive une jalouse méchanceté à dégonfler avec un gargantuesque éclat de rire.
Hier, Heïm a eu soixante ans, à fêter dans le cercle le plus restreint qu’il pouvait imaginer. Aucun enfant de sang à ses côtés, des enfants de cœur réduits à la furtive présence de Karl, son épouse, sa mère peut-être, et sa complice collaboratrice Monique. A moins que quelques amis lui aient rendu visite. Pour ma part, j’ai limité ma manifestation à un courriel lapidaire. Peut-être lui enverrais-je un présent depuis la Touraine, lors de ma petite semaine de vacances.
En attendant, bien plus motivant, je vais déambuler avec ma douce au marché coloré d’Arles.
Fin de journée, plage des Saintes Maries avec vent doux de côté et sable déserté. La fille de Richard goûte une dernière fois l’écume des vagues, tandis que les adultes l’attendent sagement. Rien à redire sur cette quiétude partagée : seul André n’y participe pas, l’eau et la plage n’ayant jamais été son élément.
Dès que les périodes de repos se raccourcissent, je profite davantage de chaque instant, sans laisser pointer les morosités, les pessimismes, les abattements, versant désagréable de ma cyclothymie.

Dimanche 14 août
Un peu d’introspection. J’ai souvent eu un rapport complice avec les petites filles. Arrgh ! Si je clamsais à l’instant d’un arrêt cardiaque, d’une attaque cérébrale, que pourrait-on conjecturer ? Je m’empresse donc de noter que cette complicité ne charrie aucune purulence malsaine, aucune dérive perverse, aucun penchant… p.é.d.o.p.h.i.l.e. ! A-y-est le mot est lâché. Ou plutôt si, ma pédophilie est grande, mais dans sa seule acception étymologique ! J’aime les enfants s’ils sont aimables… ce qui réduit considérablement la frange humaine concernée. Mais je digresse de mon exposé initial.
J’ai remarqué,dans mon comportement, chaque fois qu’une enfant manifeste, par ses paroles et ses attitudes, une inclination au rapport affectif, une systématique prise de distance avec l’être juvénile. Non point que j’anticipe un élan scabreux et déplacé de ma part, une quelconque tentative sexuelle m’horrifierait, me dégoûterait même ! mais je considère avec la plus extrême méfiance le regard interprétatif des adultes. Ne surtout pas faire naître chez eux le soupçon abusif, le doute accusateur. Voilà une manifestation sans conteste du poids social et de ses conditionnements.
Je dois tout de même confesser l’excitation ressentie pour une bien plus jeune que moi, lorsque j’avais onze ou douze ans… En visite chez des amis de ma tante Mona, une fillette de six ou sept ans m’allumait explicitement, venant, par exemple, s’asseoir sur moi et frotter sans retenue ses petites fesses sur mon sexe précoce. Un souvenir révélateur de ce qui peut arriver si l’on ne prend pas garde de mettre des bornes là où l’enfant ne voit qu’un jeu émoustillant. C’est bien là le rôle de l’adulte.
Notre potentiel crade ne connaît pas de mesure dans notre for intérieur. Etre moral, ce n’est pas annihiler ces émergences in petto, mais de savoir ce qui peut exister dans la sphère sociale (le social commence avec l’autre, quel que soit le degré d’intimité partagé) et de doser le possible en fonction de la configuration externe.

Lundi 15 août
Pas du tout la part sombre, aigrie ou désespérée qui a triomphé hier après-midi. Retour aux Saintes Maries, direction plage, avant l’arrivée je prends soin d’acheter une belle planche dans l’espoir de bénéficier des mêmes vagues que samedi. Vœu comblé au centuple : la Bleue agitée m’a fait renouer avec le pan juvénile en léthargie dans un coin de ma carcasse. Même la fille de Richard, dix ans, n’a pas tenu la distance de l’amusement total. A son excuse : la violence des vagues pesait beaucoup plus pour son frêle corps.

Jeudi 25 août
Privé de mon Manus XIII, ayant pris le XII complet par erreur, je me contente du verso de feuilles mobiles. Recopiage suivra à Lyon.
Arrivés hier soir à Pernay, reçus comme des amis chers par Lydie, rejointe peu après par Corentin, nous passons la soirée ensemble dans leur joli logis campagnard. Toujours la gentillesse incarnée dans leur réception, je ressens quelques tensions, notamment entre Lydie et sa fille Adèle. La petite fille blonde de Royan mûrit, ses cheveux foncent, ses formes s’affirment, ses treize ans complexifient sa bouillonnante personnalité. Début septembre elle entre en internat à Tours, à sa demande. Comme Elo (mais avec quelques années d’avance) elle veut goûter l’éloignement du cocon oppresseur.
Pluie fine sur le tourisme, qui fait du bien aux nappes, mais engrisaillent les paysages. Nous apprécierons plus profondément les intérieurs châtelains. Programme du jour : Abilly, La Guerche, le Grand-Pressigny, Chambon et Boussay. Boulimique ?

Vendredi 26 août

Début humide au Grand-Pressigny, arrêt gourmand à l’auberge du Pont Neuf à Cussay et l’après-midi de visites en enfilade. Château de Boussay, entouré d’eau, avec deux chérubins de la demeure jouant sur une barque ; château de Rouvray, près de Chambon, et son vieil occupant comme guide, archétype de l’aristocrate désargenté, négligé sous les ongles, avec son costume vert en grosse côte, qui nous dévoile laborieusement les atours de son domaine dégradé ; forteresse de La Guerche, enfin, beaucoup plus professionnelle dans son accueil, avec sa jeune guide passionnée, qui nous rappelle Fanny dans sa verve et sa plastique.
Hier soir, petite visite à Lydie et Corentin (Adèle passe furtivement nous embrasser avant de retourner se scotcher sur MSN) qui nous révèlent le projet pour dimanche : promenade autour de Pernay en… Torpédo 1934. Restaurée par le père de Lydie, il n’en existerait plus que deux exemplaires en France, et celui-ci serait le mieux conservé. Avec mon Panama sur la tête, la frime s’annonce jouissive !

Samedi 27 août
Au programme du jour : un croissant à l’Est de Tours truffé de huit châteaux plus Amboise en son cœur.
Hier, après treize ans et mon voyage en Indre-et-Loire avec Kate (qui n’avait pas donné lieu à un quelconque épanchement dans ce Journal) je retourne avec ma BB sur les lieux de mastodontes touristiques du département : Villandry, Ussé et Azay-le-Rideau hier, Chenonceau et peut-être Amboise aujourd’hui. L’aménagement pour recevoir les dizaines de milliers de visiteurs, sur une saison, tranche avec la timidité de l’accueil de petits châteaux comme Vouvray ou même La Guerche.
Première déception du séjour : les Songes et lumières, spectacle visuel et auditif dans le par cet sur les murs d’Azay. Sommaire, statique voire bâclé, rien de l’enchantement annoncé sur leurs affiches disséminées dans le département.

Dimanche 28 août

Jour de la Torpédo 1934 pour une ballade mémorable. Hier, notre croissant s’est réduit à trois points : Chenonceau, Athée-sur-Cher et Montlouis-sur-Loire. A ce dernier, exposition dans le parc à l’anglaise des photographies La terre vue du ciel de Yann Arthus Bertrand. Le soir, partage d’une omelette aux œufs de pintade avec Lydie et Corentin.
J’apprends qu’à Chancaux, près de Loches, Gonzague Saint-Bris a invité ses amis écrivains pour une fête du livre. Parmi eux, Madeleine Chapsal que j’ai perdue de vue depuis quelques années. Epoque illusoire où je me croyais éditeur, voire inscrit dans le monde des lettres. Belle baudruche dégonflée depuis. Ecoulement du temps, depuis, autour d’ambitions bien plus modestes et réalistes. Le méprisable serait de persister à cultiver ces chimères jusqu’au pitoyable. J’écris, certes, mais rien qui mérite plus que sa trace à l’encre manuscrite.
A noter : les propriétaires du château de Montlouis-sur-Loire, qui fait l’objet d’une exploitation commerciale diversifiée (chambres d’hôtes, visites, réceptions…) sont deux frères de Broglie (prononcer de Breuil) fils du ministre assassiné dans les années soixante-dix, affaire sombre de la Ve République restée non élucidée. Le Crapouillot s’en était fait l’écho dans plusieurs de ses numéros.
18h30. Splendide journée qui s’achève. Déambulation autour de Pernay avec la Rosalie : les gens nous font des petits signes amicaux, de largues sourires, des pouces dressés, admirateurs… Jamais je n’aurais vu autant de comportements positifs dans le monde automobile. Il faut une superbe antiquité pour provoquer du consensuel convivial, pour que ceux qui nous suivent à 60km/h de pointe ne songent même plus à nous doubler, pour que ceux qui nous croisent sur les étroites routes départementales s’écartent respectueusement, voire s’arrêtent. Une féerie sur route, instant rare à savourer. Sur notre trajet, quelques jolis châteaux et jardins qui portent à dix-sept le nombre de sites vus ou visités en quatre jours. Des vacances remplies qui s’achèveront demain à Loches, avant un retour ensoleillé sur nos terres lyonnaises.

Lundi 29 août
La plupart des estivants ont repris leur labeur : nous nous préparons pour une journée estivale à Loches. Le jouissif de se détendre en sachant les autres happés par leurs obligations, est un peu basique, mais efficace pour la paix intérieure.

Lors d’un déjeuner avec ma BB, j’évoquais l’idée de reprendre contact avec Alice, une fois Heïm décédé. Pourquoi attendre ? Pour ne pas présenter le flanc aux critiques qui conforteraient un peu plus Heïm dans ses certitudes d’avoir raison sur tout et tous. Je dois l’avouer, les deux êtres dont je regrette de m’être éloigné pour la complicité quasi permanente que l’on partageait se résument à Karl et Alice. Si je conserve un lien épisodique avec le premier, la seconde a subi mes foudres, et sans doute ma haine circonstancielle, lors de sa rupture affective avec Heïm et surtout de son départ avec Leborgne me laissant la charge de liquider Sebm. Très loin tout cela, et j’en viens presque à lui donner raison. J’espère qu’elle ressent les mêmes choses, et qu’une fois la lourde présence de Heïm évanouie, nous pourrons rétablir une saine et inaltérable affection.

Aucun commentaire: