Décembre

Dimanche 11 décembre
Hier soir, alors que nous recevions Jean-Luc (frère d’Anna) et sa compagne Barbara, appel de maman écoeurée : Bruce s’est bien marié avec cette femme d’origine du Kirghizistan qualifiée de « garce manipulatrice ». Refusant d’embrasser sa belle famille, y compris les adorables petiots Alex et Raph, au nom de sacro saints et fumeux principes, l’immigrée clandestine s’est répandue en effusions baisouillantes sur ses amis présents. Son mépris inexplicable (sauf à être la résultante de discours conditionnants de Bruce ou d’une stratégie de mariage blanc visant à écarter d’emblée les membres familiaux gênants pour son méprisable dessein) ne s’accompagne évidemment pas d’une existence assumée dans son volet financier : six mois de loyer non payés avec papa caution. Le duo malfaisant réserve encore de bien crasses surprises.

Vendredi 23 décembre
La tournée festive s’amorce avec ses enivrements culinaires et les chaleureuses plongées familiales.
Coup d’envoi avec la petite et joyeuse équipe de Cqfd chez Vatel, sélectionné par O., l’initiateur des parenthèses conviviales. Occasion d’amplifier les complicités avec les membres de l’équipe pédagogique, notamment L. (responsable de la formation), H. et S. Par certains aspects, la mécanique humoristique instaurée s’apparente à celle qui émerge à chaque retrouvaille avec Karl.
Hier soir, après plus de deux mois et demi d’abstinence bloguienne, je modifie les huit pages de mon site Indignation. Sélection des passages, depuis 1991, rédigés au lendemain de Noël, avant ou après le Nouvel An : du sombre pour l’essentiel. La charnière 93-94 s’affirme comme le summum de mes désespérances cultivées. Bientôt douze ans après ces désillusions abyssales, mon univers lyonnais a enterré ces épisodes de perdition dérisoire. L’engluement dans ces affaires en ruines m’a vacciné contre toute ambition mal placée, aventure collective où l’on ne maîtrise que son engagement moral, sans influx réel sur la machine occupationnelle.
Un bleu ciel d’hiver surplombe notre déplacement grande vitesse. L’apaisant défilement de ces paysages du centre suspend nos confinements urbains : les harmonies des pastels endormis, les dénivellations pelées où le bois impose ses marrons dégradés.
Alternance du brouillard enveloppant et des luminosités à fleur de ciel avec l’extrême émotion de That Particular Time d’Alanis Morrissette : les sens exultent.

Samedi 24 décembre
Au chaud, la maisonnée de Saint-Crépin, le Noël s’annonce paisible, gourmand et ludique.
Quelques numéros de presse sur l’actualité de l’année 2005 : drames humains, saloperies politiques, trahisons et accords interlopes, le lot commun d’une rance humanité. Si notre propre vie semble préservée des malheurs en chaîne, le spectacle rapporté du monde inclinerait à l’érémitisme définitif. Mon retrait maximal de l’activité publique m’a fait abandonner le suivi d’un embryon groupusculaire à Lyon, pour agiter les idées, débattre et rédiger… Aucun entrain pour ces fariboles intellectualisante. Je reste dans cette ombre absolue du diariste épisodique, répétitif, ronchon et démobilisé. Seules lucarnes pour le tout-venant : deux blogs et deux micro-sites reprenant quelques pages choisies de ce Journal. Bien maigre ambition, mais qui colle sans effort à ma nature réfractaire : réfléchir et s’indigner sur le monde, oui, mais qu’il n’envahisse pas !
Le couple des néfastes, la kirghize et le caractériel, ne sont point associés au Noël familial. Une douceur de vivre est ainsi préservée, même si cela nourrira leur ressentiment pour cette famille qui les rejette ! Je n’éprouvais déjà plus rien d’affectif ou de positif pour ce collatéral, mais son alliance avec une manipulatrice pétrie d’opportunisme grossier (pas besoin de la jauger en réel, les dires des proches me suffisent amplement !) m’incline à cultiver méfiance, dégoût et abhorration du malfaisant. Les années passées, la maturité n’a pas émergé chez le brother déphasé. Exit !


Lundi 26 décembre
Trop gâtés nous sommes, chargés pour rejoindre Le Cellier via Nantes. Parmi les présents, le Dictionnaire égoïste de la littérature française de Charles Dantzig : plus de 950 pages de notices subjectives sur les auteurs, œuvres et concepts littéraires qui comptent pour cette irrévérencieuse érudition au phrasé alerte. Plaisir de retrouver, dans les quelques dizaines d’écrivains retenus, le père Léautaud, ce « vieux libertin d’Ancien Régime » aux « éternuements de cynisme ». La hardiesse du partial docte littéraire le conduit à déceler chez le « grogneur » bourru un tendre lyrique. Voilà qui aurait fait sortir quelque son tonitruant, entre indignation affichée et acquiescement camouflé, du bougre.
D’autres se prennent les griffes de Dantzig, leurs œuvres ravalées à d’inutiles remplissages : ainsi le trio décadent Bloy, Huysmans et Villiers faisant clapoter leurs fureurs au son de leur propre avachissement. Un peu cette sensation dans mes remugles brassés sans perspectives.
Nouvel exemple de mépris pour le genre du Journal chez l’exégète. Tout sauf une œuvre d’art : « On y range des bouts de phrases dans l’idée de s’en servir un jour dans un livre, des esquisses, des crottes ». L’égoïsme de la sélection atteint là l’égocentrisme déformant des intentions littéraires et le syllogisme simpliste ! Tout écrit-réservoir est de la fiente littéraire… mineure et conclusion comme des boulevards.
Cette forme arlequine de dictionnaire, avec des trous et ses accrocs, vivifie l’approche de ceux que les référentiels Robert, Larousse and Cie empoussièrent un peu à force de convenances objectivo-synthétiques.
A propos de mon coup de Bic hier sur le couple Kirghize-Bruce, le modéré circonspect pourrait me reprocher mon enclin à fustiger un être que je n’ai jamais rencontré. A-t-on jamais eu besoin de voir le criminel en action pour le condamner au regard d’un faisceau concordant de preuves ? Le cumul des témoignages me dispense et me préserve d’une désagréable confirmation.

Mardi 27 décembre
Ce soir, Noël dans la famille B. Troisième édition en trois jours de bombance abondante…
L’actualité 2005 a charrié ses lots contrastés de constructions attractives et de massacres à l’aveugle, de découvertes époustouflantes et de crasses stratégies, de créations inspirées qui galvanisent les sens et de miasmes rebutants des encombrants de la vie.
En somme, une année ni plus ni moins humaine que les milliers que notre espèce humaine a épuisées sous des cieux divinisés : pour une agitation inutile dans ces confins indéterminés, mais qui occupe nos cortex angoissés.
Retour prosaïque, donc : la scène politique française va présenter en 2006 ses tensions un cran au-dessus avant le show de l’élection présidentielle. Le fringant Chirac de 1995 prendra la porte de l’Elysée, dépité par tant de versatilité populaire. Pour le reste, la bataille ouverte annonce ses coups d’éclat, ses montages, ses hypocrisies, ses retournements opportunistes, rien de plus, en fait, que dans la plupart des cloaques professionnels, dans cette malodorante fosse de la vie collective.
Reste la masse laborieuse, en rien meilleure que ceux qui la dirigent (ou croient le faire) car méchamment simpliste par méconnaissance abyssale et incapacité à raisonner subtilement. Et je me sens de plus en plus à l’image de ce surnombre vivotant. S’accommoder par confort lâche conditionne la majorité des existences. Confort lâche ou conscience désespérée de l’inanité de tout engagement… Finalement, ceux qui se croient individualités pensantes (moi dans toute mon anonyme splendeur !) ressemblent, avec toute la tartufferie de ceux qui s’en défendent, aux bestiaux humanoïdes qu’ils méprisent. Une façon, là aussi, de justifier un chouia sa parcelle de lucidité.
Bonne année tout de même…

Vendredi 30 décembre, 23h20
Les ingrédients hivernaux (neige, glace et froidure) ont contraint papa à différer le départ pour Lyon. Demain matin, l’adoucissement des conditions devrait permettre le voyage pour passer un dernier moment tamponné 2005 avec nous ; Anna, sur le pont bancaire, attrapera un TGV devant parvenir à Lyon à 18h. De la notation de concierge tout cela… il faudrait élever un peu mes interventions… L’inspiration se barre furieusement !
Avec un petit effort ce Manus XIII pourrait être achevé avec l’année : sentiment de nouvelles résolutions de tenue de ce Journal ; un suivi plus constant et renouvelant le triptyque perso-pro-monde.
Hier soir, dîner chez Albert et Rose. Parfois attristant de les voir décrépir dans cette demeure au blafard sordide. Lui, physiquement ravagé par les excès passés, les mains grossies par le labeur manuel accompli, les ongles aux teintes écoeurantes, la couperose du visage en expansion. Son infinie gentillesse ne peut occulter l’épreuve du temps et les coups de l’existence. Son épouse, atteinte par une extinction de voix, présente un état maladif qui amplifie la disgrâce de ses lignes. Là encore, un caractère généreux et convivial qui n’est point relayé par son physique. Le duo se recroqueville pour une fin sans éclat, sans révolte, rythmée par les quelques distractions glanées et les visites périodiques des proches comme André et Annette… Leur chemin de croix, c’est une présence sans faille pour soutenir la sœur d’Albert qui assume un quotidien infernal avec son salaud de mari atteint d’Alzheimer. Un sordide que tente d’atténuer ce gentil couple par leurs multiples aides à l’épouse maudite : après s’être sacrifiée pour sa tyrannique de mère, elle doit se dévouer à l’ignoble mari.
Message, sur portable, de Sally pour ses vœux les plus mielleux. Sa nouvelle proposition de réunion affective, suggérée par Sarah, consiste à louer un chalet dans le Jura trois jours en février prochain. Peu probable que cela inspire BB et que nos emplois du temps le permettent. L’éloignement des restes d’une vieille vie se confirme, sans regret, sans amertume, mais renforcé dans une défiance pour ces élans incongrus.

Samedi 31 décembre
Les rétrospectives pour ce jour ultime, si banal, n’auraient pour objet que de remplir cette fin de cahier, ne sachant pas si le suivant attisera une inspiration en perdition.
Peut-être devrais-je ne rien tenter, ou choisir un sujet à l’avenant. La fréquentation des commerces le dernier jour de l’année, l’agressivité des automobilistes y compris ce jour… Bof, bof… On verra si le cours de la journée m’accrochera davantage.
3h45 du matin (du 01.01.06). Enfin dans le dodo pour roupiller de tout son saoul, le corps bien détendu.
Une gentillette Saint-Sylvestre aux accents familiaux, sans danse frénétique ni débordement aviné. Des plats frais, variés et légers, dont une tourte à la viande succulente concoctée par Jean-Luc. A minuit, échanges joyeux de boulettes avec nos sarbacanes spéciales cotillons. Raph et Alex ont pu se défouler face aux quelques adultes (dont moi, j’avoue !) déchaînés. Parmi les convives, un couple en amitié avec Barbara et Jean-Luc, d’origine tourangelle et installé à Lyon depuis quelques années : l’air réservé, voire engoncé, ils ne se sont pas réellement déridés au cours de la soirée. Difficile d’établir une complicité, même éphémère, dans cet état d’esprit. Sympathique, tout de même, l’homme nous parle avec passion de son métier original : ingénieur en déconstruction de centrales nucléaires. L’ère de ces opérations complexes, devant durer une vingtaine d’années, va bientôt commencer. Hormis ce sursaut d’accroche, rien de bien liant dans leur attitude. Moi, l’ours mal socialisé, je ne vais pas leur reprocher.
Enfin, voilà une année calme, sur un plan personnel, qui est enterrée.
Comme résolutions pour la naissante ? Avant tout, tenir davantage de suivi les pages de ce Journal. Progresser dans la curiosité tous azimuts du monde et sa découverte avec une pointe légère de naïveté.
Pour achever ces lignes, une pensée douce à ma BB, endormie à mes côtés et qui partage mon existence depuis quatre ans. Continuons sur ce tendre tracé…



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